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La Pagode Bleue
23 novembre 2014

Y aller ou pas ?

Troisième partie de l’Ebola Week de la Pagode Bleue…

Une épidémie d’Ebola, comme un nouveau terrain de travail ? Voilà plus de 12 ans que je me trimballe dans des contextes de crises profondes, fortes, invariables, chroniques ou soudaines mais toutes caractérisées par l’extrême pauvreté et l’accès caduque aux services de base, comme impossible garant d’un environnement sanitaire salubre. A côté des efforts d’aider les gens à échapper à cette faucheuse d’espoir permanente, il y a eu de nombreux types d’urgence imprévue. La guerre, les déplacements de population, le tsunami, les tremblements de terre, les épidémies de choléra, les inondations, l’insécurité alimentaire : cela faisait déjà beaucoup. Mais il en manquait donc encore… Vais-je rajouter l’Ebola à cette longue liste ?

J’en ai franchement douté au début, beaucoup moins maintenant. Lorsque l’OMS me proposa d’être détaché sur place, je me suis vraiment demandé à quoi bon envoyer un profil comme le mien, mis à part ma connaissance des zones d’isolement cholérique et l’expérience en gestion des catastrophes. Mais il m’est vite apparu que les besoins en santé environnementale (ce qu’on appelle principalement dans le jargon technique : ‘WASH’ qui regroupe les thématiques de l’eau, l’hygiène et l’assainissement – Water, Sanitation and Hygiene en Anglais, donc WASH) sont importants et relèvent d’une approche qui s’apparente en de nombreux points à celle de la lutte contre le choléra.

Reste que, comme la grande majorité des travailleurs humanitaires, les besoins de se former spécifiquement à cette réponse d’urgence sont indispensables, à la fois pour adapter les techniques habituellement maitrisées aux besoins spécifiques de la lutte contre cette maladie et pour bien assimiler les mesures de protection. Avec l’Ebola, le moindre détail compte ; chaque mauvaise pratique même anodine pouvant être fatale. La préparation doit être exceptionnellement bien affinée et la maitrise des risques par l’employeur doit etre totale. A mon avis, ce n’est pas auprès d’un centre de formation qui s’invente subitement la compétence, qu’il faut se diriger mais auprès des vrais spécialistes. Et là, mis à part Médecins Sans Frontières, l’absence de compétences est flagrante dans le monde humanitaire. Ce déséquilibre entre l’expérience et la nature du risque s’avère être un frein incroyable a la liste des personnes volontaires, alimentant le cercle infernal de la propagation dévastatrice du fléau. Pour ma part, j’ai refusé des propositions venant d’organisations humanitaires, certes de bonne réputation mais novices, comme moi, sur la question de l’Ebola.

Et le voilà donc le paramètre le plus nouveau et le plus contrariant : les travailleurs humanitaires sont vraiment sous la menace directe des conséquences de cette maladie, difficilement maitrisable. Globalement, toute crise humanitaire n’est pas sans risque et sans dégât pour le personnel; le nombre de morts grandit chaque année (avec l’ampleur des besoins et des réponses humanitaires aussi d’ailleurs). Mais jamais, le danger de l’engagement humanitaire n’a provoqué un tel sentiment d’être si démuni face à une maladie très contagieuse, sans remède et fatale plus d’une fois sur deux.

Le niveau de stress dans la pratique au quotidien doit être intensément élevé. A chaque petit coup de moins bien, que l’angoisse doit être grande (et légitime), venant glacer le sang et faire gamberger. Un petit rhume ou un mal de gorge qui s’annonce à cause d’une clim’ trop insistante ou d’une journée de travail harassante sous l’humidité ambiante ; une diarrhée ‘tourista’ si fréquente ; une perte d’énergie à cause des trop nombreuses heures de travail qui font oublier de prendre soin de sa santé ; un début de palu ; etc. Aux premiers signes de la maladie quelque bénigne qu’elle soit, le rythme cardiaque doit monter dans les tours. La pression doit être forte en attendant un diagnostic médical rassurant ou la fin des remous de santé passagers. Un collègue racontait aussi comment les nuits de sommeil sont parfois dures à trouver, à trop gamberger sur les dangers invisibles. Les zones Ebola deviennent des lieux dépourvus de contact physique. Finis les poignées de main et les contacts habituellement permanents entre les gens en Afrique de l’Ouest ; bienvenue la suspicion et la parano.

Mon domaine de compétences concerne les activités de mise en quarantaine des patients dans les Centres de Traitement Ebola et de la désinfection minutieuse au chlore de tous les déchets humains, cadavres inclus. Mon rôle ne serait pas de faire, mais plutôt d’encadrer les équipes sur place. Moins dangereux que celui des personnels soignants, ce type de travail reste à risque. En plein dans l’épicentre d’une maladie qui présente une probabilité forte de décès chez les patients, se rajoute l’aspect psychologique, difficile à contenir face au peu d’espoir de survie des malades.

Est-ce la peine de le dire ? Braves sont les volontaires qui se jettent dans le bain. Les besoins sont immenses, la tâche très compliquée. L’engagement personnel pour les autres est essentiel dans le travail humanitaire. Cela en est même le cœur du métier, meme si les trop nombreuses heures passées dans de confortables bureaux tendent à le faire oublier. Avec des compétences confirmées en santé environnementale qui ne devraient pas être gâchées face à la pénurie de personnels, la gymnastique mentale m'est pénible. La décision de chacun est individuelle et respectable. Pour ma part, j’ai vraiment envie de m’impliquer, malgré les questions. Je me rassure en sachant que par expérience, l’angoisse est toujours surestimée à distance. Et puis, d’autres crises actuelles sont toutes aussi dangereuses voire plus. Certains préfèreront travailler à Erbil, dans le Kurdistan irakien proche du bourbier islamiste ou dans la brousse centrafricaine, devenu par intermittence une jungle sans loi. Je crois que je préfère être dans un contexte ébolique, avec paradoxalement une meilleure maitrise personnelle des risques, que je contrôlerais plus par moi-même.

Y aller ou pas ? Probablement… Je me dis aussi, cyniquement mais à propos, qu’ailleurs, dans toutes les régions du monde, d’autres crises, non couvertes aussi médiatiquement mais tout autant dévastatrices, ont des besoins humanitaires immenses. Y aller ou pas ? La question revient sans cesse et trouve sa réponse de manière indirecte. Ce ne sera pas pour cette fin d’année ni le début de l’année prochaine. Pris par des engagements préalables sur d’autres crises, mon programme personnel est déjà bien chargé. Je reste conscient que l’épidémie d’Ebola ne sera pas endiguée avant de nombreux mois. Dans ce jeu de rotation du personnel sur des périodes courtes, peut-être cela sera-t-il un jour mon tour. Je m’y suis préparé, j’ai travaillé le sujet et je n’ai plus qu’à recevoir une formation sur la bonne utilisation des équipements de protection.

J’ai aussi cette chance de ne pas chercher désespérément du travail et de ne pas avoir à me lancer sans autre choix dans ce genre de combats. J’irai donc là-bas seulement si les conditions de faire du bon travail sont réunies. Ou bien peut-être irai-je sur d’autres urgences humanitaires. Ou bien choisirai-je de renforcer mon rôle grandissant dans des actions de développement durable sans quoi on ne se sortira pas de toutes ces crises à répétition depuis des décennies (la période de sortie de crise pérenne est tout aussi cruciale pour sortir du cycle vicieux des crises) et travailler sur le développement de LED.

Bref, les besoins humanitaires à l’échelle du monde sont grands. Il est malheureux de se dire qu’il y a tellement de raisons d’aller bosser : l’humanitaire, un secteur économique d’avenir, encore pour un bon petit moment…

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