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La Pagode Bleue
12 janvier 2014

La vie rêvée des anges…

Le travail humanitaire à l’étranger est un domaine vaste et complexe. Sans être universellement partagé, son spectre irait de l’urgence humanitaire en situation de forte crise mettant en jeu la vie des gens à large échelle, à des actions plus stables et durables d’appui au développement des personnes vivant dans des conditions difficiles chroniques. Certaines populations touchées alternent d’ailleurs ce genre de situations, au gré des crises et des aléas de la vie collective.

En mission dite humanitaire (disons pour des raisons de simplicité, celle de l’urgence après une catastrophe naturelle, un conflit, une épidémie), les ‘expats humanitaires’ se retrouvent dans des conditions compliquées. Plus les contextes ressemblent à des urgences humanitaires, dans lequel viennent se greffer de plus en plus de soucis légitimes de sécurité du personnel, plus les ‘expats’ vivent recroquevillés dans leur monde, coupés du contact des populations. Problème récurrent et sans grandes solutions. Les ‘expats’ sont même souvent en décalage avec leurs propres équipes (les travailleurs humanitaires du pays), sans toujours s’en rendre compte ou alors simplement accepté par fatalisme pour les plus expérimentés. A leur décharge, le travailleur humanitaire ‘expat’ débarque dans des contextes en total décalage avec leur vie habituelle et doivent s’accommoder à une vie de stress permanent et coupée des plaisirs habituels de la vie (le confort, les activités de détente, la nourriture, les risques sécuritaires et sanitaires, etc.).

L’expat humanitaire est passionné, bosseur, fumeur, picoleur, fatigué, fêtard, sous pression… Ceux qui ‘survivent’ ne sont pas ceux qui picolent le plus (quoique…) mais ceux qui parviennent à relativiser et trouver des moyens de décompression préventifs. Entre autres, vivant décalés mais avec leur temps malgré tout, des travailleurs humanitaires ont eu l’idée originale et amusante de créer un groupe FB ‘tu es humanitaire quand…’ où chacun des 4,000 travailleurs humanitaires inscrits peut venir partager (ou se défouler) de manière ironique et décalée sur leurs ressentis de vie peu banale en mission humanitaire. C’est souvent drôle, sarcastique, franc et rempli d’autocritique salutaire. Chacun s’y retrouve ou apprend des autres. Malheureusement, comme partout ailleurs, il y a aussi son lot de râleurs, de parasites et de personnes insupportables à la recherche improductive de régler ses comptes sur la place publique virtuelle. N’échappant pas à la règle, ce groupe social est donc aussi devenu un lieu de défouloirs pour frustrés dans le besoin de se faire entendre, venant assombrir cette belle dynamique de partage et de défoulement amusé. Tant pis - même s’il s’agit finalement d’une bonne piqure de rappel parmi d’autres que ce monde de l’humanitaire est très usant et que chacun devrait y voir ses propres limites et se donner une porte de secours pour parfois s’en défaire, faire aussi d’autres choses, au risque trop tardif de s’y perdre…

Quoi qu’il en soit, me voilà au Congo et en pensant à cette vie décalée d’humanitaire, j’arrive sans la moindre difficulté à dresser un beau florilège d’instants assez pittoresques après seulement quelques jours… Voilà pour les non-initiés à quoi peut ressembler un bout de vie en mission humanitaire…

- On traverse un poste de frontière à pied et le garde vous dit qu’il a peur car il ne sent pas protégé ici en cas d’attaque de rebelles…

- Une averse s’abat bruyamment sur les toits en tole galvanisée (étanches cette fois-ci) de manière quasi quotidienne et digne du plus gros orage de l’année en France…

- Un petit crapaud partage ma douche, et que je découvre en me lavant au seau…

- Un ‘Mousoungou ! Mousoungou !’ à chacun de mes passages devant des enfants congolais…

- Quelques cafards grouillent quand on ouvre le frigo…

- Des sardines à l’oignon au petit-déjeuner…

- Un gendarme titubant nous arrête à un check-point, n’arrive pas à exprimer mieux qu’un sourire imbibé son désir d’un billet, qu’il n’aura pas… Au suivant, un autre plus chanceux, malin ou sobre, en reçoit un au passage d’un autre véhicule…

- Les yeux ronds du gendarme en chef à l’enregistrement à la police locale, qui cherche une bonne raison mais n’en trouve pas d’autres que de clamer haut et fort son désir de corruption, moyennant un forfait improvisé de 10 USD… S’en suit un dialogue de scène entre mon collègue habitué et lui : Papa !? Moyennant !!... Papa !? Moyennant !!... Papa !? Moyennant !!... Papa !? Moyennant !!... Après une dizaine de répétitions, bien aidé par la bonne image de l’ONG sur place, le gradé se résoudra à abandonner, en espérant une bière au bistrot du coin à la prochaine occasion…

- Une rumeur folle de la mort du président rwandais voisin, jamais vérifié mais fêté dans les rues de Goma… Les funérailles religieuses d’un colonel pris dans une embuche et qui se construit une légende posthume (invérifiée) après avoir osé refuser d’écouter le voisin rwandais mais qui leur a de tout de même pris leur argent pour le redistribuer à ses troupes… Les autres hauts gradés garderaient l’argent pour eux et écouteraient du coup les militaires rwandais… mais chuuut, c’est seulement une rumeur…

- Quelques grandes bières au bistrot dansant du coin, et la pause pipi à même le sol (pas de WC bien sûr) dans une des chambres de la maison voisine sans toit et non habitée, reconvertie en urinoir géant…

- Une bataille entre 2 personnes un jour de marché…  Le soir, une femme abattue à quelques centaines de mètres de notre maison par un militaire pour des raisons ‘personnelles’ mais toujours pas arrêté…

- Une fête dans le bâtiment barricadé de barbelés, de l’ONG voisine et qui se termine à 22 heures pour respecter les consignes de sécurité…

- Un rat qui me passe juste sous les pieds et s’enfuie de ma chambre par-dessous la porte… Lui et ses potes reviendront se balader tous les jours dans la maison… La cuisine sent la pisse de rat le matin…

Pas de doutes : je suis bien de retour en mission !...

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